Pourquoi le Japon est le seul pays à préserver son identité dans la mondialisation
Le Japon reste aujourd’hui encore la troisième économie mondiale, pourtant il ne transige pas avec ses traditions.
Imaginez un pays qui refuserait les plus grands dogmes de la mondialisation et qui parviendrait pourtant à se hisser dans le tiercé gagnant de l’économie planétaire! Ce pays existe: bienvenue au Japon. En 2050, l’Archipel nippon aura perdu 30 millions d’habitants et 40% de sa population sera composée de retraités. Avec pareil diagnostic, n’importe quelle nation de l’OCDE aurait accepté le traitement du médecin libéral: ouverture du marché à l’immigration, aux femmes, amélioration de la productivité horaire, etc… Mais le Japon lui, fait de la résistance. Entrons dans les détails:
– L’immigration, qui pourrait pourtant compenser le déséquilibre de la pyramide des âges est nulle ou quasi nulle et même les immenses besoins de reconstruction post-tsunami n’ont pas suffi à faire ouvrir les vannes. Seuls quelques «guest workers» (travailleurs invités) sont acceptés sur les chantiers, mais ils n’ont d’invités que le nom. Leur travail est précaire, conditionné dans le temps, ils ne peuvent pas faire venir leur famille et ils sont renvoyables dans leur pays à tout moment.
– L’ouverture du marché du travail aux femmes ne donne aucun signe de frémissement, malgré cette projection qui provient pourtant de l’Institut Japonais de recherche sur l’économie (RIETI): 3 millions de femmes supplémentaires sur le marché du travail produiraient un gain de croissance annuel de 2% pour le pays! Pour l’heure, le seul chiffre que l’on retiendra en la matière, c’est celui du taux de femmes dans le management des entreprises qui ne dépasse pas les 3,5%.
– Enfin la productivité horaire continue à stagner depuis des années. S’il est vrai que les Japonais travaillent beaucoup (deux fois plus qu’en France), leur productivité reste bien inférieure à la moyenne des pays de l’OCDE.
Pour comprendre cette situation, il faut aller chercher du côté de la psyché, de la culture et de la tradition. Ouvrir l’archipel aux immigrés serait pour un Japonais la remise en cause de l’équilibre et de l’harmonie nécessaire au pays, avec un risque de perte de ses traditions. Ouvrir le marché du travail aux femmes serait une remise en cause du sens même des mots mari et femme. En japonais, «mari» se dit «shujin», littéralement: «la personne principale». «Femme» se dit «Kanaï», litteralement: «dans la maison». Si tout n’est pas dit, tout est donc écrit… Enfin l’amélioration de la productivité horaire passerait par l’autonomisation des salariés, ce qui serait contraire à la culture du chef dans l’entreprise et à la primauté du groupe sur l’individu. En bref, les Japonais préfèrent donc penser que les robots assureront plus sûrement leur avenir que n’importe quelle mutation qui remettrait en péril leur identité.
Cette résistance aux oukazes de la mondialisation n’a pas pour l’heure pénalisé l’archipel. Le pays reste la troisième économie mondiale, ce qui demeure un miracle au regard de la doxa libérale. Certains objecteront bien sûr que le coût est humain, dans une société du travail où le bonheur n’a pas sa place. Mais cette notion restant éminemment subjective, il serait périlleux de considérer le bonheur des autres au regard de valeurs qui ne sont pas les leurs. Nous sommes bien ici dans un face-à-face de deux modèles cohérents et totalement différents. D’un côté, la proposition libérale est celle de l’émancipation de l’individu par sa perfomance dans un ensemble fait de diversité et dans un temps qui va toujours plus vite. De l’autre, la proposition japonaise est celle d’une identité qui fait la part belle au groupe et à l’homogénéité dans une culture du temps long. Que le Japon perde cette bataille et il sera pour les adorateurs de la doxa libérale la preuve que la mondialisation représentait bien le sens de l’Histoire. Que le Japon parvienne à résister et il demeurera pour les partisans de l’identité des nations la preuve de «la possibilité d’une île» comme dirait Houellebecq. En attendant l’issue de cette mère des batailles, le Japon est bel est bien devenu le premier laboratoire de la mondialisation.
Une analise de Olivier Galzi du Figaro