Jardin Zen près de Valence
Près de Valence, Erik Borja façonne depuis 1973 un jardin japonais. Ses chemins sinuant entre les rochers et les buissons témoignent de la fascination de l’artiste pour la tradition nippone.
On se gare tout près des vignes, dans cette plaine drômoise où sont produits de grands crus, tel le crozes-hermitage. Le mistral souffle. Un jasmin agrippé à une vieille bâtisse aux murs épais diffuse ses effluves. Mais ce qui vous attend, passé le seuil, n’a rien d’un cliché de la France méridionale. Le portail d’entrée, fait d’un rondin de bois posé à l’horizontal sur deux piliers verticaux, est de tradition japonaise. Il signale que vous quittez le monde physique pour entrer dans le monde spirituel. Situé à 15 kilomètres de Valence (Drôme), le Jardin zen que l’artiste Erik Borja façonne depuis quarante-cinq ans vous emmène au pays du Soleil-Levant. « L’entrée est à l’ouest de la maison, selon les règles du feng shui, un art de vivre qui offre à l’homme une meilleure harmonie avec son environnement », explique le jardinier de 76 ans, à la longue silhouette. Il désigne sur la droite une fontaine en pierre et en bambou. « Ici, le visiteur peut se rafraîchir et se purifier. A l’aide d’une louche, on humidife parfois les pierres du sentier pour les faire luire. Les chemins ne sont jamais parallèles au bâtiment, pour éviter les “flèches empoisonnées”, qui nuisent à l’énergie, toujours selon le feng shui. » Quelques mètres plus loin, on admire une sorte de lanterne en pierre. « Ce sont les seules pierres taillées du jardin, symboles de la présence de l’homme dans l’univers et sièges des esprits qui protègent le lieu », poursuit Erik Borja.
Sa passion pour le Japon remonte à son enfance… en Algérie. « La première fois que j’ai entendu parler du Japon, j’avais 4 ans, les Américains venaient de bombarder Hiroshima, se souvient-il. Après la guerre, on trouvait des jardins japonais miniatures chez les fleuristes d’Alger. Dans un bac de rien du tout naissait un monde, avec du gravier, des personnages en plastique, des ponts, des ombrelles, quelques plantes… Ça me fascinait. Et quand je suis entré aux Beaux-Arts, je me suis passionné pour l’architecture du Japon, son cinéma, son art graphique, ses cultures anciennes… »
Un voyage initiatique
Au début de sa carrière, le jeune homme sculpte à Paris. Puis, en 1973, il entame l’oeuvre de sa vie sur ce terrain à l’abandon de la propriété familiale, dans la Drôme. En 1977, il se rend pour la première fois dans le pays qui l’inspire depuis toujours. A Kyoto, il visite le monastère Ryoanji, du XVe siècle, dont le jardin de pierres (des rochers entourés de mousse et de graviers minutieusement ratissés) est considéré comme un chef-d’oeuvre. « Là, l’émotion m’a submergé. Ce voyage initiatique a changé ma vie. » Et a été une source d’inspiration pour son jardin drômois. Au début, le sculpteur tâtonne. « Je suis un autodidacte du jardin, admet-il. J’ai appris à partir de mes échecs successifs. Au bout d’une dizaine d’années, ça a commencé à donner quelque chose. »
Devant la maison, on contemple aujourd’hui son Jardin de méditation. Le gravier y est ratissé tous les matins retrouvant ainsi les volutes que les chats du domaine effacent en les piétinant. Derrière, on traverse le Jardin de thé sur un petit chemin pavé entouré de buissons et de pierres. Dans la tradition japonaise, ce dernier conduit à un temple où se déroule la cérémonie du thé. Mais ici, on débouche, en contrebas, sur le Jardin du dragon : un étang parsemé de nénuphars, au creux d’un vallon. On l’admire en s’installant dans une sorte de petit temple en bois ou dans une souche taillée, en forme de berceau. Au fond du parc, avant d’arriver à la rivière qui longe le terrain, on écoute le vent qui agite la mini-forêt de bambous.
L’art de manier le sécateur
Entretenir cette oeuvre d’art, qui est aussi une quête spirituelle pour son auteur, n’est pas de tout repos. Deux jardiniers à temps plein y suffisent à peine. « Entre la taille, la tonte, le désherbage manuel – nous n’utilisons pas de pesticides –, il y a de quoi faire », explique Loïc, le jardinier en chef. Partout les buissons sont sculptés au sécateur pour offrir au regard des courbes lisses et féminines. De variétés multiples, ils composent, en ce mois de juin, un savant dégradé de verts. Au début du printemps, le rose pâle des prunus en fleurs – les fameux cerisiers japonais – leur volait la vedette. Et à l’automne, ce sont les feuillages ocre des érables qui flamboieront. Non loin de ces végétaux typiques du Japon s’épanouit un jardin méditerranéen où l’on croise un figuier, du romarin, de la sauge, souvenirs algérois d’Erik Borja. Car à travers ces créations végétales, l’artiste raconte aussi sa propre histoire.
Source: Le Parisien