Changement climatique, aveuglement politique
Les phénomènes météorologiques dévastateurs se sont multipliés cet été au Japon, mais la classe politique n’a toujours qu’une obsession : la croissance.
L’été 2018 au Japon : 220 morts à cause de pluies torrentielles, inondations et glissements de terrain dans le Sud-Ouest, pire catastrophe climatique depuis 1982. Chaleurs record avec une hygrométrie insupportable de plus de 80 % et encore des morts. Violents typhons meurtriers. En l’espace de quelques semaines, le Japon a perdu des centaines d’habitants à cause de phénomènes climatiques qualifiés d’inédits ou exceptionnels par l’Agence nationale de météo. Ses experts multiplient les conférences de presse, les mises en garde sont de plus en plus pressantes. Si des voix extérieures raccrochent ces successions d’événements aux conséquences du réchauffement climatique, les hommes politiques nippons, eux, ne font publiquement pas le rapprochement.
Alors que vient de se jouer une bataille pour désigner le président du parti au pouvoir, combat que le Premier ministre Shinzo Abe a aisément remporté (ce qui le maintient à la tête du pays), la question du réchauffement climatique et de ses conséquences dramatiques n’a jamais été soulevée lors des conférences de presse, et aucun des deux candidats n’a de lui-même abordé le sujet lors de discours ou débats. Les thèmes de campagne étaient axés sur la croissance, la déflation, la réforme de la Constitution, l’avenir de la protection sociale. Le thème de la prévention des désastres a, lui, été largement commenté, mais de façon déconnectée de la lutte contre le réchauffement climatique. Pour le Premier ministre Abe, il faut « construire des infrastructures plus résistantes », pour son rival à la tête des partis, l’ex-ministre de La Défense puis de la Revitalisation des régions, Shigeru Ishiba, « il faut créer un véritable ministère de la Prévention des catastrophes, en lieu et place d’une simple agence ».
L’opposition, anéantie il y a six ans, et éparpillée depuis, n’a pas davantage haussé le ton sur cette question. Et la population elle-même, il est vrai habituée de longue date à subir régulièrement les caprices de la nature, n’établit pas forcément le lien.
Croissance et compétitivité
Pourtant, la question n’est pas nouvelle : il y a dix ans, deux spécialistes de l’ONG WWF, Masako Konishi et Christian Teriete, soulignaient l’extrême vulnérabilité du Japon : « 46 % de la population et 47 % de sa production industrielle sont menacés par la montée du niveau de la mer et les effets subséquents comme les marées de typhon, les tempêtes ou l’érosion côtière », écrivaient-ils. Les risques ont encore empiré depuis. « L’agriculture, la pêche, les ressources en eau potable, les écosystèmes naturels ou encore la santé humaine sont également menacés », ajoutaient-ils. Et selon leurs calculs, rien que pour construire les infrastructures pour se protéger contre une hausse d’un mètre du niveau de la mer, il faudrait mobiliser quelque 115 milliards de dollars.
Est-ce que pour autant rien n’est fait au Japon ? Non. Le Premier ministre s’est félicité récemment d’avoir mis en place une commission d’experts pour définir une stratégie nationale et rallier à cette cause les acteurs privés afin de faire du Japon un « meneur » dans le combat pour la survie de la planète. Mais son approche est apparue très intéressée et optimiste : « Si on regarde la situation de l’économie et de l’environnement, on comprend que la lutte contre le réchauffement de la planète n’est pas un coût pour les entreprises, c’est au contraire une nouvelle source de compétitivité. Les firmes qui agissent activement dans ce domaine amassent de l’argent venant du monde entier, ce qui crée la croissance future et amplifie ensuite les possibilités de faire encore mieux. Ce changement, que l’on doit appeler le cercle vertueux entre environnement et croissance, progresse à une vitesse folle depuis cinq ans, au niveau planétaire. Pour le faire tourner encore plus vite, il faut une révolution technique émanant du monde des affaires. Jusqu’à présent, les États impulsaient le mouvement en imposant des obligations, mais c’est un changement de paradigme qui est en train de s’opérer. Les entreprises japonaises doivent innover pour que cela entraîne une croissance forte », a plaidé Shinzo Abe. Cette allocution a été prononcée le 3 août dernier, moins d’un mois après les précipitations diluviennes qui ont endeuillé le sud-ouest de l’archipel.
« Lutte contre le changement climatique ? Arrêtons, et on pourra alors supprimer la TVA »
Dans le même temps, des personnalités influentes régulièrement invitées à la télévision trouvent que le Japon en fait trop, consacre trop d’argent à lutter contre les émissions de gaz à effet de serre, en pure perte, car les autres, et plus particulièrement la Chine et les États-Unis, ne font pas assez d’efforts alors qu’ils polluent plus. « Lutte contre le changement climatique ? Arrêtons, et on pourra alors supprimer la TVA », écrivait par exemple en juin l’universitaire Kunihiko Takeda.
S’il existe des montagnes d’informations, statistiques, rapports émis par l’administration nippone et que des entreprises prennent de vraies dispositions, la réalité est que l’on peine à y voir une stratégie d’ensemble et surtout une réelle mobilisation non pas des bureaucrates, mais des politiques.
Source: lepoint.fr