Cette forêt qui vous veut du bien
Reconnu officiellement depuis 1982, le shinrin-yoku ou bain de forêt se pratique dans tout l’archipel. L’activité consiste à apprendre à gérer son stress, au contact des arbres. Reportage dans les forêts d’Okutama, aux confins de la préfecture de Tokyo.
Ciel bleu, grand soleil. C’est l’été indien, ce matin-là, dans le parc national d’Okutama, charmante bourgade de 5 000 habitants, à l’extrême nord-ouest de la préfecture de Tokyo. Ici, la forêt est partout. Kimiyo Shoguchi, sourit. « Écoutez le vent dans les arbres, les oiseaux, les insectes. Respirez. Marchez le plus lentement possible. Touchez les feuilles, les fleurs. Ne pensez plus à rien. Évoluez à votre rythme, sans vous soucier des autres. »
La petite troupe de sept personnes qu’il va guider toute la journée s’engage dans la forêt. Michiko ne parle plus, concentrée sur le chant des oiseaux. Sa copine Emi, elle, observe la texture de la mousse sur la roche. Après une heure de marche, Emi se confie : « Je me rends compte que je n’ai pas été très attentive à la vie de la forêt mais que son environnement me fait réfléchir. À ma vie, à mon quotidien. »
C’est précisément le but de cette journée en immersion sous les frondaisons : se déconnecter totalement, rompre avec la routine. Les parfums de la flore, les bruits apaisants de la faune, la force de la nature sont censés aider les participants à se recentrer. Au Japon, on appelle ça le shinrin-yoku, soixante-deux sites y sont dédiés dans tout l’archipel. À Okutama, les « patients » marcheurs sont encadrés par des guides spécialisés.
Kimiyo Shoguchi est l’un d’eux. « Ici, nous avons vraiment fait de la gestion du stress notre priorité », explique-t-il. Toute la journée, il va régulièrement poser des questions à chacun sur son ressenti, sur les raisons qui l’ont poussé à s’inscrire.
Parfois, la détresse n’est pas loin. « J’ai besoin de me relaxer, je n’y arrive plus », explique une trentenaire, qui chemine entre les cèdres et les cyprès à perte de vue. « J’ai tout le temps la tête encombrée de soucis, de choses à faire, je n’arrive plus à arrêter de réfléchir, confie Satomi, une autre jeune femme. Cela me gâche des moments qui pourraient me rendre heureuse. »
Très vite, le rythme se ralentit. On apprécie les rayons du soleil qui réchauffent le visage après avoir traversé les branches des arbres. On cueille une feuille que l’on frotte dans ses mains avant de la sentir. « Autrefois, cette plante était utilisée pour la cuisine et la médecine », rappelle Kimiyo Shoguchi. Mais trêve de bavardage, place à la « forespiration » : « Prenez le temps de respirer l’air, avec le ventre, indique le guide. Plus vous allez sentir la force de la forêt entrer dans vos poumons, plus vous allez vous relaxer. »
« Sentir la force de la forêt »
La journée se passe ainsi, à un rythme ralenti. Au déjeuner, chacun emporte son bento dans son coin de verdure et s’isole du groupe. Sitôt avalé, le repas invite à la somnolence et à la sieste sur un tapis déroulé à la hâte, au soleil. La marche reprend alors que l’on s’enfonce toujours plus dans la forêt.
Mayumi s’impatiente. C’est la deuxième fois qu’elle participe à un shinrin-yoku. Cette fois, si elle est venue à Okutama, c’est aussi pour la séance de yoga en pleine forêt. Allongée sur le tapis, elle regarde le ciel, les nuages, la cime des arbres qui encadre son panorama. « C’est vraiment magique de pouvoir faire ça dans un tel cadre. »
Reconnu officiellement par l’agence nationale japonaise des forêts en 1982, le shinrin-yoku a tout d’abord vu le jour dans la préfecture de Nagano avant de gagner progressivement les différentes régions de l’archipel, composé à 67 % de massifs forestiers. Le bain de forêt, également connu sous le terme de sylvothérapie en français, fait de plus en plus parler de lui hors du Japon. En France, des associations le proposent également, en particulier dans les Vosges.
À Okutama, « l’activité attire des hommes et des femmes de tous âges, précise Kimiyo Shoguchi. Nous avons de plus en plus d’étudiants sous pression des examens et des hommes, clairement épuisés par le travail. Ces derniers sont intéressés par l’aspect gestion du stress qu’apporte le bain de forêt mais ils sont ceux qui ont le plus de mal à se détendre… Parfois, ils s’impatientent, se trouvent trop inactifs pendant la séance, n’arrivent pas à profiter. Nous avons également de plus en plus d’entreprises qui offrent l’opportunité à leurs salariés de venir découvrir le bain de forêt en petits groupes. »
Des mesures de tension et de présence de cortisol ou d’alpha-amylase dans la salive sont réalisées avant la marche et à la fin de la journée. Ce jour-là, les prélèvements attestaient tous d’une importante baisse de stress.
Source: Ouest-France